Le marché du matin battait maintenant son plein, les chapeaux coniques se mouvaient, ondulaient comme un grand tapis de champignons géants. Mai Ly rôdait ça et là, en évitant toute rencontre inopportune, un parent, un ami par exemple... Elle entra dans une petite épicerie avec l’espoir de trouver un petit travail quelconque qui lui permettrait de survivre. Mais dans cette petite bourgade de Bình-Chánh tout le monde connaissait la famille de la petite, personne n’osa l’embaucher et surtout pas l’héberger ! L’horloge tournait inlassablement, il fut bientôt midi, le soleil est au zénith... Les clients retardataires et les derniers marchands ambulants ramassèrent leurs affaires, tous s’empressaient de rentrer au foyer. Mai Ly circulait entre les tas de détritus avec l’espoir de trouver un reste quelconque de nourriture, qui lui permettrait de calmer son estomac. Épuisée par la faim et la soif, la petite se tassa au pied d’un pilier et s’endormit toute fiévreuse. La faim et le froid avaient eu raison de son petit organisme. Le petit corps se recroquevillait sur lui-même comme une petite crevette...
Une jeune femme, âgée d’une quarantaine d’années, de belle allure, la peau claire, les traits fins, les cheveux rassemblés en chignon s’avançait légèrement dans sa tunique de soie noire, d’un bel imprimé de fleurs d’hibiscus. Elle était belle sous son léger maquillage. Arrivée près de l’enfant, elle se baissa, lui toucha le front puis lui caressant les cheveux, elle appela doucement :
- Mai Ly ! Réveille-toi mon enfant, c’est maman, je suis là maintenant !
L’enfant ouvrait ses yeux, reconnaissant sa mère se jeta dans ses bras en pleurant ; la jeune femme aussi avait les larmes aux yeux :
- Viens Mai Ly, reviens avec moi à Bình-ñiŠn ... Ne reste pas comme cela à errer dans les rues, tu veux bien ... !
Mai Ly leva la tête, lança :
- Est-ce qu’il est mort ?
- Mais qui est mort ?
- Ton mari. Est-ce qu’il est mort ? Je le déteste... !
- Arrête, ne dis pas de sottises ! Viens avec moi !
Madame Hùng sentant venir la tempête changea de tactique, elle essaya autrement :
- Tiens, tu viens avec moi, nous restons ensemble quelques jours, puis nous irons voir ta tante au village de Bà-Hom. Ta tante et ton oncle s’occuperont de toi, ils t’enverront à l’école, ils n’ont pas d’enfant , ce sont des gens aisés; tu verras, ils vont bien s’occuper de toi !
Arrivées à la maison, madame Hùng fit prendre un bain à Mai Ly, lui donna de vêtements de rechange, puis elles allèrent toutes les deux au village de Bà-Hom. En route, elle recommanda à Mai Ly :
- Sois très polie et obéissante envers ta tante et ton oncle, n’est-ce pas !
- Oui, maman, je te le promets. Et puis, c’est bien vrai qu’ils vont m’envoyer à l’école ?
- Oui, c’est cela.
*Le crépuscule commençait à tomber, le soleil descendait rapidement dans l’horizon lointain. Le car était maintenant arrivé à la station. La mère et la fille se dirigèrent vers une villa qui venait d’être construite, il y a peu de temps. Madame Hùng ouvrit la grille du portail et elles entrèrent dans un grand jardin bien entretenu, parsemé de fleurs. Il y avait aussi quelques arbres fruitiers comme un manguier, un goyavier, un jacquier, une rangée de canne à sucre... arbres et fleurs, toute la végétation bien alignée était luxuriante, florissante, étincelante aux mille couleurs... Derrière la villa il y avait encore une haie d’arbustes entourant un bassin servant de vivier à poissons et dans lequel deux grands caramboliers plongeaient leurs racines. Non loin de là, les oeillets d’inde étalaient leurs pétales d’or au pied d’une rangée d’aréquiers.
La petite Mai Ly apeurée, intimidée s’accrochait désespérément à la main de sa mère... tandis que madame Hùng commençait à appeler :
- Y-a-t-il quelqu’un ! Chị Ba, Anh Ba ! Êtes-vous là ? Nous sommes arrivées avec petite Mai Ly !
Monsieur et madame Hòa arrivèrent sur le perron et les accueillirent chaleureusement. Entrés dans le maison, ils invitèrent les nouvelles arrivantes à s’asseoir sur le grand divan de bois, madame Hòa demanda à madame Hùng :
- Quel âge a-t-elle cette année, Mai Ly ?
- Elle a maintenant douze ans !
Madame Hòa se retourna vers Mai Ly et lui dit gentiment :
- En quelle classe es-tu cette année ?
- Je suis en 7ème (CM2) cette année
- Bien, si tu veux rester avec nous, à la rentrée prochaine je t’inscrirai au cours, tu reprendras tes études.
à ces paroles, la petite Mai Ly heureuse reprenait espoir... Après le repas du soir, madame Hùng resta avec sa fille ce soir-là. Depuis longtemps Mai Ly n’avait plus de contact avec sa mère et n’avait pas passé avec elle une seule soirée. Elle était toute à sa joie ! Le lendemain, après le réveil et le petit déjeuner, Madame Hùng prit rapidement congé pour repartir sans tarder après le déjeuner.
La petite Mai Ly restée seule sortit faire quelques pas dans le jardin, elle avait toujours aimé la nature, les arbres et les fleurs. Elle rencontra alors une petite fille qui semblait avoir le même âge qu’elle-même. Elle était surprise, car la petite fille entrait sans se faire prier dans la maison ; l’air véhément, elle s’adressa à Mai Ly :
- Eh, toi là-bas, qui es- tu ?
La petite Mai Ly sans se laisser démonter répondit tranquillement :
- Je suis la nièce de madame Hòa et toi, qui es-tu pour faire irruption comme cela ?
La fillette sans répondre pénétra vivement à l’intérieur de la maison comme en terrain conquis et se mit à crier à plaine voix :
- Monsieur ! Madame ! Qui est-ce ? Qui est là dans notre jardin ?
Monsieur et Madame Hòa entendirent la voix coléreuse de la fillette. En fait, c’était la fille adoptive de monsieur et madame Hòa bien qu’elle les appelait toujours Monsieur et Madame. De la chambre, madame Hòa demanda :
- Qu’est-ce qu’il y a, qu’est qui arrive ? Tu viens d’arriver ?
- Je te demande, qui est-ce qui est dans le jardin ?
- Ah, tu veux parler de Mai Ly, elle est plus âgée que toi d’un an, tu dois la considérer comme une grande sœur, c’est ma propre nièce, la fille de ma sœur.
- Je le sais déjà
- Comment peux-tu le savoir ?
- Eh bien, elle vient de me le dire à l’instant
- Mai Ly va rester avec nous, tu auras comme cela une compagne de jeux.
Petite Thúy manifesta sa mauvaise humeur... tapant du pied, martelant ses pas, elle s’avança furieuse dans la chambre. La petite Mai Ly eut le pressentiment que la situation ne sera pas si facile que cela, la petite Thúy visiblement ne la portait pas dans son cœur, elle n’était que haine pour la nouvelle intruse... Mai Ly en elle-même sentit son cœur s’alourdir, elle sentait sourdre en elle une sombre inquiétude : ’’Bof ! De toute manière... Où pourrais-je aller maintenant, tant pis, on verra bien ! Depuis que ma mère s’est remariée, cela fait six ans déjà que je dois prendre mon baluchon et me rendre chez les uns et les autres de la famille... oncle, tante,.. partout, je suis toujours maltraitée. Est-ce possible, ma vie va-t-elle continuer à être dénuée de chance, infortunée comme cela ?‘’. Mai Ly se sentait délaissée par la vie, elle avait les larmes aux yeux, le cœur brisé.