Mai Ly
de
Việt Dương Nhân
Interprété et écrit en français
par
Marie-Colombe Bach Thi-Ngoc Suong
Tome I
"Perdu"
Hélas, sans père, ni mère,
L’enfant aux larmes solitaires...
Quel chemin ? Où aller ? Partout,
Ne voit que douleurs et blessures...
Pourquoi faut-il tant de souffrances
Et maintenant, qui me viendra en aide ?
Lève les yeux au ciel, s’écriant :
Comprends-tu, je suis perdue !
Le couchant étend ses derniers rayons dorés sur toute la plaine, les plants de riz exhalent leur parfum tandis que les oiseaux par bandes retournent vers leur nid. Dans le hameau, la fumée s’élève des toits de chaume, le calme revient avec la douceur du soir dans chaque foyer. Par moment, un oiseau solitaire traverse le ciel et s’empresse de rejoindre les autres déjà rentrés. Seule, la petite Mai Ly est encore assise au bord de la mare qui sert de vivier à la famille. Elle reste là immobile, silencieuse... de temps à autre elle s’anime brusquement en marmonnant on ne sait quoi? À chaque fois elle agite frénétiquement les mains et se met à rire de bon cœur, ha, ha ! Mais oui ! elle est en train de jouer à berner les poissons ! et c’est fort simple, il lui suffit de jeter une petite boule de terre pour que ces idiots de poisson croient qu‘elle leur donne à manger et se précipitent dessus ! Mai Ly s’amuse de leur méprise, le jeu lui fait oublier l’heure de rentrer... Elle se lève, court à toutes jambes... Catastrophe ! Elle va certainement attraper une bonne raclée de la part de son frère aîné Hà...
La petite Mai Ly avait perdu son père au moment de ses cinq ans. Depuis sa mère s’était remariée, Mai Ly n’avait pas voulu partir avec elle, elle avait préféré rester avec ses deux frères et sa sœur.
Quelques années plus tard, son deuxième frère H»u à son tour quitta le village, il alla à Saigon chercher du travail. Quant à sa sœur, elle s’était mariée et partie au loin vivre dans la famille de son mari. La petite resta chez son frère aîné. Hélas, l’infortune d’une petite belle-sœur à la charge de la famille ! Tous les jours, après l’école, Mai Ly devait s’occuper de ses jeunes nièces et pour un rien se faisait sévèrement corriger...
Un jour que le couple était invité au dehors, comme d’habitude Mai Ly était restée à la maison s’occuper de ses deux nièces en bas âge, petite Châu et bébé Thu. Frère Hà et sa femme arrivèrent en fin de journée. La femme de Hà venait à peine de prendre petite Châu dans ses bras, qu‘elle se mit à grimacer, roulant des yeux..., hurlant avec frénésie :
- Mai Ly ! Qu’est-ce que tu as fait à petite Châu ?... Sale vermine, quelle calamité, tu me pourris la vie... Vas-t’en ! Hors de ma vue ! Sors de cette maison immédiatement ! On va voir ce que va dire ton frère... Hà ! Viens ! Viens vite ! Cette garce de Mai Ly a fait tomber petite Châu ! Regarde cette bosse ! Si tu ne la chasses pas tout de suite d’ici, c’est moi qui m’en vais !
Hà était encore dans le jardin à admirer ses fleurs ; aux cris hystériques de son épouse, il accourt à toute vitesse et sans demander d’explications ordonne à sa sœur de s’allonger :
- C’est toi qui a fait tomber la petite ?
Hà fouette fortement sa soeur avec le rotin, tout en l’abreuvant des injures lancées un moment plus tôt par sa femme :
- Tu n’es qu‘une bonne-à-rien, une charge et une calamité pour nous ! Hors de ma vue... Si je te retrouve, je te fais la peau !
Après le repas, tout le monde alla se coucher. Mai Ly sur la paillasse placée sous un auvent dans l’arrière-cour de la maison, ressentait amèrement son humiliation, elle pleurait en silence sans pouvoir trouver le sommeil et se disait :‘’J’ai beau être frappée, battue tous les jours... ce n’est rien ! mais aujourd’hui ils m’ont injuriée et chassée de la maison. Il faut que je m’en aille ! Mais où ?... Même si je dois en mourir, je dois partir !... ’’ Ses larmes n’arrêtaient pas de couler, Mai Ly s’essuya du revers de la manche en pensant à sa mère... Qui peut savoir ce qui se passe dans ce cœur brisé, la douleur d’un enfant de douze ans, le désarroi d’une petite orpheline ? Elle appellait sans cesse : ‘’Maman, maman ! Où es-tu ? Papa, papa ! Où es-tu parti ?’’. Elle se souvint soudain que la tombe de son père n’était pas très loin de la maison, elle se disait en elle-même :‘’Et si j’allais dormir là-bas avec papa ? Oui, c’est cela, je n’ai qu‘à aller dormir là-bas avec papa !’’. Elle se lèva alors tout doucement. Toute la maisonnée était plongée dans un profond sommeil. Elle prit tant bien que mal un morceau de tissu pour envelopper ses livres et cahiers de classe, quelques vieux habits... Pour ne pas faire de bruit, elle s’était allongée par terre, se coulait contre le sol et rampait pas à pas vers la cuisine, la petite lucarne ouverte au ras du sol. Celle par où Mi-Nô, le chien entrait et sortait de la maison ! En la voyant, celui-ci vint vers elle... elle le caressa et lui recommanda d’aller se recoucher sans faire de bruit ; le chien compréhensif lui donna quelques coups de langue pour lui dire adieu et retourna se coucher. Le corps gracile de l’enfant se glissa sans bruit par la lucarne du chien. Enfin elle y est, elle est dehors, elle se sent légère, libre, mais de quoi va-t-il être fait le lendemain... Y pense-t-elle, la petite Mai Ly ?
Au dehors, il faisait nuit noire, un ciel sans une étoile. Mais Mai Ly avait confiance : ‘’Mon père m’attend là-bas dans son cimetière’’. Galvanisée par l’idée de retrouver son père, la petite se précipita et arriva sans tarder chez son père... Assise au bord de la tombe, elle se laissait enfin aller à des pleurs et lui racontait ses humiliations, sa peine : ‘’Papa, c’est moi ! Hier soir, Grand frère m’a fouettée et chassée de la maison ! Personne ne m’aime, je n’ai que toi, tu es le seul qui m’aime. Maman elle, elle est partie avec son mari... je le hais, je voudrais qu’il meure ! Viens me chercher papa, papa !’’. Dans sa petite tête remonta la légende de ‘’Phạm-Công-Cúc-Hoa’’. L’orpheline qui retrouva son père... elle espérait de tout son être que son père allait apparaître à ses yeux et l’emmener avec lui loin de cette terre. La nuit était profonde... fatiguée, brisée par les émotions, Mai Ly essaya d’aplanir le sol rocailleux, mit son sac sous la tête et s’endormit jusqu‘au matin.