LE LOUP ET LE RENARD
001 C est d exceller en tours pleins de matoiserie.
J en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quand le Loup a besoin de défendre sa vie,
005 Ou d attaquer celle d autrui,
N en sait-il pas autant que lui ?
Je crois qu il en sait plus ; et j oserais peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l honneur échut
010 A l hôte des terriers. Un soir il aperçut
La Lune au fond d un puits : l orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :
015 Notre Renard, pressé par une faim canine,
S accommode en celui qu au haut de la machine
L autre seau tenait suspendu.
Voilà l animal descendu,
Tiré d erreur, mais fort en peine,
020 Et voyant sa perte prochaine.
Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé,
Et succédant à sa misère,
Par le même chemin ne le tirait d affaire ?
025 Deux jours s étaient passés sans qu aucun vînt au puits.
Le temps qui toujours marche avait pendant deux nuits
Echancré selon l ordinaire
De l astre au front d argent la face circulaire.
Sire Renard était désespéré.
030 Compère Loup, le gosier altéré,
Passe par là ; l autre dit : Camarade,
Je veux vous régaler ; voyez-vous cet objet ?
C est un fromage exquis. Le dieu Faune l a fait,
La vache lui donna le lait.
035 Jupiter, s il était malade,
Reprendrait l appétit en tâtant d un tel mets.
J en ai mangé cette échancrure,
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j ai mis là exprès.
040 Bien qu au moins mal qu il pût il ajustât l histoire,
Le Loup fut un sot de le croire.
Il descend, et son poids, emportant l autre part,
Reguinde en haut maître Renard.
Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
045 Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu il craint et ce qu il désire.